Planche de présentation et participants à la conférence COGES EVENTS sur les technologies hypersoniques © MBDA
Synthèse – A une époque où les technologies évoluent rapidement, les capacités hypersoniques ont changé la donne. Ces systèmes de pointe ont la capacité de révolutionner l’équilibre des forces entre les nations. Lors de l’e-conférence COGES EVENTS intitulée “Unveiling Hypersonic Challenges – Missiles and Countermeasures in Modern Military“, qui s’est tenue le 19 septembre 2023, les experts Dr. Richard Weitz, Senior Fellow et Directeur du Centre d’analyse politico-militaire de l’Hudson Institute à Washington D.C. (Etats-Unis), Dr. Iain Boyd, directeur du « Center for National Security Initiatives » à l’Université du Colorado (Etats-Unis), et Lionel Mazenq, en charge des programmes sur la défense anti-missiles hypersoniques à MBDA (France), ont décrit l’évolution technique et l’impact géopolitique des technologies hypersoniques. Le modérateur de ce panel était Hawa-Léa Sougouna, responsable du programme de conférences pour COGES Events.
Les défis de l’hypersonique : des missiles aux contre-mesures
Par le Dr. Iain Boyd
Le Dr. Boyd a commencé sa présentation en définissant l’hypersonique comme des véhicules volant à une vitesse supérieure à MACH 5 (3500 MPH). Ces technologies sont utilisées dans l’espace et dans le domaine la défense, mais leur emploi pourrait à l’avenir être étendu aux avions de transport de passagers.
Pour le professeur de l’Université du Colorado, ces technologies changent la donne pour les raisons suivantes :
- leur rapidité, qui, en termes militaires, compresse le délai de riposte.
- leur altitude, laquelle permet aux missiles de voler à la fois suffisamment bas pour éviter une détection radar, et suffisamment haut pour contraindre le contrôle aérien nécessaire à leur interception.
- leur capacité de manœuvre, qui rend leur trajectoire imprévisible en vol.
La combinaison de ces facteurs complique le suivi et le ciblage, ce qui « les rend attrayants du point de vue offensif, mais très compliqués du point de vue défensif ». M. Boyd a également mis en évidence un certain nombre de défis spécifiques liés à la mise au point de ces technologies et apparus au travers d’échecs comme le vol d’essai du X15, tels la gestion thermique et le système de propulsion ou encore le développement d’une capacité de production en série et à coût raisonnable. Pour lui, le chemin à parcourir est encore long aux vues de ces difficultés et d’obstacles qui nous sont encore inconnus.
Lors d’une question en fin de session, le Dr. Boyd a souligné l’importance des technologies émergentes, telles l’intelligence artificielle (IA) comme facteur clé : “L’IA sera importante dans tous les domaines. (…) En effet, un autre aspect des armes hypersoniques est qu’elles seront utilisées en combinaison avec d’autres armes, et il faudra de l’IA non seulement pour comprendre la complexité du champ de bataille futur, mais aussi être en mesure de se défendre efficacement », a-t-il conclu.
La perception américaine de la menace hypersonique en Russie et en Chine : une capacité de coercition
Par le Dr. Richard Weitz
Soulignant le fait que la Russie, la Chine et les États-Unis sont pour le moment les acteurs majeurs, tandis que divers pays européens, mais aussi l’Iran et la Corée du nord, ont exprimé leur intérêt pour l’acquisition de capacités hypersoniques, le Dr. Weitz a posé la question de savoir quel était l’intérêt de poursuivre la voie hypersonique. De son point de vue, les avantages d’un point de vue militaire sont les suivants :
- Dissuader les attaques sur les territoires nationaux.
- Empêcher les interventions militaires dans les sphères d’influence régionales.
- Vaincre des forces ennemies en temps de guerre.
- En temps de paix, exercer une influence (le réseau d’alliances des États-Unis est considéré comme une force fondamentale de l’ordre libéral international).
- Remettre en cause la crédibilité de la sécurité nucléaire et conventionnelle.
- Fournir des moyens de coercition supplémentaires
Pour la Russie et la Chine, les avantages sont évidents, car ils complètent leurs capacités offensives actuelles et offrent un profil de menace différent.
En ce qui concerne l’approche de la Russie en matière de capacités hypersoniques, Richard Weitz a expliqué que la recherche sur ces technologies a en fait débuté sous l’Union soviétique, l’objectif initial étant de surmonter les défenses antimissiles américaines.
Aujourd’hui, si la dissuasion stratégique est toujours d’actualité, la Russie se concentre sur le renforcement de ses capacités de combat au niveau régional. Elle équipe actuellement de missiles hypersoniques de nombreuses plateformes navales et aériennes sur les théâtres d’opération – ainsi que nous avons pu le constater sur le théàtre ukrainien – , et pourrait équiper des navires côtiers plus petits et des avions de combat d’ancienne génération, afin de redynamiser ce type de matériel. Richard Weitz estime cependant que l’emploi par la Russie de missiles hypersoniques en Ukraine ne change pas la donne en l’état actuel des choses.
En Russie, ces missiles sont considérés comme des armes de première frappe et se distinguent par la combinaison de ces technologies hypersoniques avec la présence d’ogives nucléaires. Le régime russe actuel est contraint par des limites de coût et de contrôle des armements, mais au niveau stratégique, les Russes n’auraient besoin que de quelques missiles de ce type pour pénétrer les défenses des pays occidentaux.
Côté chinois, et contrairement aux systèmes stratégiques à longue portée russes, l’accent est mis sur le développement de nouveaux systèmes de lancement hypersonique de théâtre, complétant ainsi la gamme de missiles – à la fois très large et très diversifiée – dont dispose l’armée chinoise pour frapper forces et installations militaires en Asie.
L’objectif est d’empêcher une intervention militaire américaine dans la sphère d’influence déclarée de Beijing en affaiblissant les capacités de dissuasion et de défense des États-Unis, au point que les alliés se demandent si les États-Unis peuvent – et pourront – les défendre contre ces menaces.
L’Armée populaire de libération (APL) s’est également recentrée sur la dissuasion stratégique : pendant que la Russie et les États-Unis étaient limités par le traité FNI (forces nucléaires à portée intermédiaire), la Chine construisait des missiles de portée intermédiaire et les dotait de technologies hypersoniques. L’objectif de l’APL serait de synchroniser ses attaques de manière à pouvoir viser des cibles éloignées avec des systèmes hypersoniques – par exemple, les bases américaines au Japon et à Guam – tout en effectuant des frappes à plus courte portée avec d’autres types de missiles. La question est de savoir si l’APL a la capacité de suivre des cibles éloignées en mouvement.
Face à cette menace, les Etats-Unis sont en train de moderniser leur protection anti-missile au niveau national avec l’acquisition d’un intercepteur de nouvelle génération NGI pour « Next-Generation Interceptor »), optimisé pour contrer les ICBMs russes, chinois, mais aussi nord-coréens. Ce système est actuellement en cours de développement par deux équipes contractantes concurrentes et les progrès ont été plus importants que prévu, puisqu’il devrait être opérationnel d’ici 2027. La modernisation américaine prévoit également le renforcement des réseaux de capteurs CSIR et des systèmes de détection et d’alerte basés dans l’espace.
La vision de MBDA en matière de défense contre la menace hypersonique
Par Lionel Mazenq
Faisant écho au Dr. Boyd, Lionel Mazenq a défini les capacités hypersoniques comme étant un système combinant une trajectoire endo-atmosphérique à une vitesse supérieure à MACH 5 avec une capacité continue de manœuvre pendant une partie substantielle de son vol. Les caractéristiques rendant cette technologie unique sont pour lui :
- La portée : en voyageant longtemps dans l’atmosphère, la combinaison de la vitesse et de la portée est unique.
- L’enveloppe de vol : elle correspond aux domaines non couverts par les défenses endo-atmosphériques actuelles et aux domaines inférieurs aux défenses endo-atmosphériques élevées, ce qui permet de voyager de manière relativement sûre dans ces domaines.
- La trajectoire : elle permet une détection tardive.
- La capacité continue de manœuvrer à haute altitude : elle défie les prévisions d’interception.
Ces technologies sont le résultat d’une longue évolution d’une recherche initiée dans les années 1940, mais quatre évolutions clés ont modifié l’environnement permettant de constater les progrès observés aujourd’hui :
- le développement de matériaux isolants et résistants à la chaleur ;
- l’amélioration des calculs CFD (« Computational fluid dynamics ») ;
- le développement de solutions de navigation compactes et précises ;
- le développement de chaînes d’engagement sur de grandes distances en peu de temps via l’interconnectivité de drones et de satellites.
Pour le chef de programmes de MBDA, la principale limitation aujourd’hui est la chaîne logistique pour les produire.
M. Mazenq a ensuite expliqué que la technologie détermine les CONOPS en distinguant HGV et HCM :
- Les HGV (« hypersonic glide vehicles » ou planeurs hypersoniques avancés) sont des missiles balistiques de manœuvre bien adaptés à une stratégie de défense visant à bloquer l’accès à de vastes zones, mais ils sont handicapés en termes de portée.
- Les HCM (« hypersonic cruise missiles » ou missiles de croisière à longue portée) sont proches des anciens missiles de croisière avec une plus grande souplesse de définition des trajectoires, mais une moindre portée à ce stade.
L’imprévisibilité est de l’avis de Lionel Mazenq le principal défi posé par les menaces hypersoniques. En effet, en fonction de la distance entre les zones à protéger et selon la taille de ces zones, l’arrivée d’une seule menace ennemie manœuvrable à grande vitesse pourrait être saturante. Des tirs pourraient être nécessaires à partir de toutes les zones défendues et l’interception pourrait devenir insoutenable.
Il a décrit une telle évolution comme « un véritable fardeau allant à l’encontre de la résilience des défenses contre la menace hypersonique ».
Pour lui, les facteurs clés en matière de protection contre les missiles hypersoniques consistent à déployer un réseau de capteurs permettant un suivi et une alerte précoce, ainsi qu’une capacité d’anticipation de la trajectoire de la menace. La clé de ce système sera la capacité à suivre en permanence la cible et à la reconnaître avec précision. Une bonne capacité d’interception à haute altitude est aussi essentielle devant permettre de « prendre la décision le plus tard possible afin d’avoir suffisamment de temps pour prédire en toute sécurité où ira la cible ».
Enorme défi pour les capacités de défense, celles-ci « doivent être adaptées pour bloquer ces menaces hypersoniques grâce à des efforts en termes de capteurs, de réseaux et de capacités d’interception ».