Photo : Intervention du Vice-ministre de l’Économie d’Ukraine, en charge du déminage, Ihor Bezkaravainy © Coges
Synthèse de la conférence de presse du Salon Eurosatory organisée le 19 mars 2024
Après une présentation de Marc Darmon, président du GICAT, et du général (2S) Charles Beaudouin, commissaire général du salon Eurosatory, cette conférence de presse animée par Emmanuelle Dancourt a réuni en un premier temps deux chercheurs, Amélie Férey de l’IFRI d’une part, et Jean-François Ripoche de l’AED d’autre part. Ont suivi l’intervention du Vice-ministre de l’Économie d’Ukraine, en charge du déminage, Ihor Bezkaravainy, et une session de Q&A.
I. Le contexte de l’édition 2024 d’Eurosatory
Le président du GICAT, Marc Darmon, a commencé par souligner le contexte très particulier dans lequel va se tenir le Salon Eurosatory cette année marquée par le retour de la guerre en Europe : « crises et conflits se superposent plutôt qu’ils ne se substituent les uns aux autres », conflits de haute intensité, risques terroristes, menace cyber et crise environnementale se mêlant de façon inédite. Reflétant ces bouleversements, les dépenses militaires mondiales ne cessent d’augmenter avec un accroissement estimé à 9% entre 2022 et 2023 pour atteindre 2 200 milliards de dollars.
Les pays européens ont participé à cette croissance et ont lancé un certain nombre d’initiatives de relance face à la guerre en Ukraine destinées non seulement à répondre à la demande en matière de munitions (ASAP pour « Act in Support of Ammunition Production »), mais aussi à inciter les Etats membres de l’UE à renforcer leurs procédures d’acquisition intra-européennes en vue d’acheter européen à hauteur de 50% de leurs budgets d’équipement à l’horizon 2030 (EDIRPA pour « European defence industry reinforcement through common procurement act » et EDIP pour « European Defence Industry Programme »).
Il a mis en avant le fait que la France, devenue deuxième exportateur mondial d’armements, s’appuie sur une industrie de défense ayant démontré sa résilience et sa capacité à s’adapter aux nouvelles réalités du terrain. Le passage à l’économie de guerre annoncée par le Président Macron à Eurosatory commence ainsi à porter ses fruits avec une réduction du cycle de fabrication et une augmentation de la cadence de production dans nombre de secteurs (Canons Caesar et missiles Mistral notamment).
Pour le général (2S) Beaudouin, la nouvelle ère qui s’ouvre est caractérisée par cinq mégatendances d’ordre géopolitique, économique, sociétal, environnemental et technologique et contraint les acteurs publics et privés de la défense et de la sécurité à affronter nombre de défis, tels « faire le bilan de la souveraineté » en encourageant une politique de « réindustrialisation fondée sur des dépendances choisies et non plus subies ».
Eurosatory est ainsi résolument positionné comme le « salon de toutes les crises » avec des propositions de solutions en défense, sécurité intérieure et sécurité civile inégalées dans le monde (1600 exposants à ce jour, dont 17% seulement proposent une offre léthale). Il a conclu son introduction de la façon suivante : « nouveau monde, nouveaux défis, nouvelles solutions. Si vous venez à Eurosatory, vous trouverez ce que vous cherchez, mais aussi ce que vous ne saviez pas que vous cherchiez… » Il a par ailleurs souligné l’ambition d’Eurosatory, riche d’une centaine de conférences, de « s’emparer de nouveaux sujets », tels celui débattu en seconde partie de cette conférence de presse.
Photo : Intervention du général (2S) Beaudouin © Coges
II. Nouvelles conflictualités et environnement : dans quelle mesure les forces légitimes intègrent la dimension environnementale des conflits en faveur d’une paix durable ?
Pour Amélie Férey, il existe un certain nombre d’initiatives européennes visant à limiter l’usage d’armements écocides en amont des conflits, que ce soit par la création d’une cartographie des systèmes d’armes posant problème ou par la promotion d’efforts de développement de matériaux et de munitions normés (cf : « Directive Research » de 2006). Au niveau national, l’adoption par la DGA du principe d’écoconception pour la production d’armement en France est aussi un axe existant en amont des conflits.
Pendant le conflit lui-même, nombre d’interdiction existent déjà quant à l’emploi d’armes particulièrement destructrices sur le plan environnemental, telles les munitions à uranium appauvri ou encore le phosphore blanc.
Enfin, le nettoyage du champ de bataille post-bellum existe déjà dans certains domaines, tels le déminage. Et Jean-Francois Ripoche note à ce sujet que l’intelligence artificielle pourrait s’avérer particulièrement utile tant pour le repérage que pour la planification des opérations de déminage.
Ce dernier estime par ailleurs qu’une autre forme de prise en compte de l’environnement existe aussi au niveau de l’Union européenne au travers des stratégies mises en place par les armées pour favoriser les énergies durables ou encore l’économie circulaire incitant au recyclage de certains équipements. Une initiative de camp déployable à empreinte logistique la plus réduite possible associe ainsi par exemple neuf ministères de la défense européens depuis quelques années [ndlr : INDY pour « energy independent and efficient deployable military camps »).
III. Le cas du déminage en Ukraine : « gagner la bataille des mines »
Pour le Vice-ministre de l’Économie d’Ukraine, en charge du déminage, Ihor Bezkaravainy, son pays se situe « à l’épicentre de la destruction de la nature », la Russie ayant contaminé les sols et engendré des dommages gigantesques par le biais de destructions délibérées, telles que celle du barrage de Karkhovka.
Le premier objectif que s’est fixé Kiev en matière de crimes écocides est de documenter de la façon la plus précise possible ces derniers et de faire en sorte que les criminels soient poursuivis en justice au niveau international : « faire rentrer le crime écocide dans le droit international » va pour le vice-ministre de pair avec le soutien d’une reprise économique dans le respect des bonnes pratiques environnementales. Une planche illustrant ces propos fait ainsi état de 56, 7 milliards d’euros de pertes et de plus de 3 300 cas de dommages environnementaux documentés.
Une des difficultés du recueil de données est d’en contrôler la qualité, mais une application digitale permet au moins d’informer les populations quant aux zones dangereuses ou potentiellement contaminées à éviter.
La clé de voûte de cette démarche est bien-sûr la question du déminage, avec 30% du pays contaminés par des mines et des munitions (selon une autre planche, ce serait 174 000 m2 qui seraient « potentiellement contaminés par des mines et engins explosifs » – chiffres de 2023).
Une étude est en cours pour essayer d’identifier les priorités en termes d’actions de déminage tout en en mesurant l’impact environnemental et sur les populations, via l’analyse de la qualité des sols, le niveau de l’eau, la capture carbone, etc…
Les besoins dans ce domaine se déclinent en équipements, mais aussi en personnels formés en nombre suffisant et en soutien, y compris la capacité de fabriquer sur place les pièces de rechange des matériels. « Il s’agit là d’un problème multifacettes » avec des volets militaires, mais aussi économiques.
Le vice-ministre a conclu sa présentation en se disant en faveur d’une « Paix juste », mais aussi de l’inclusion des crimes écocides dans la liste des crimes internationaux. Une définition reste à élaborer ensemble afin d’empêcher que de tels actes ne se reproduisent.
En conclusion de cette conférence de presse qui a réuni en ligne plus de deux cents auditeurs, le général Beaudouin a salué le courage des Ukrainiens et la force qui les anime et qui leur « donne les moyens de « gagner la bataille des mines » », tandis qu’Ihor Bezkaravainy a déclaré que « la guerre est une expérience », « une tragédie qui offre des leçons » qu’il est impératif de partager …