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S’adapter à la numérisation du champ de bataille

Le cyberespace, nouveau champ de conflictualité qui s’ajoute au triptyque bien connu, doit être protégé. Véritable priorité stratégique des ministères des Armées de nombreux pays, la cyberdéfense est et restera garante de nos souverainetés. La numérisation des équipements et donc du champ de bataille, sources de nouvelles vulnérabilités pourraient également être créatrice d’opportunités pour les armées. Des efforts qui seront vains sans une véritable coopération.
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Le cyberespace : nouveau théâtre de guerre

Si la cyberguerre infuse dans les esprits de chacun, elle n’est pas nouvelle. Dès 2014, la Russie menait des opérations cyber-offensives d’ampleur à l’encontre de l’Ukraine. S’il était facile à l’époque d’attribuer ces opérations de déstabilisation cyber, cela est bien plus complexe aujourd’hui. Les cyber attaquants se sont professionnalisés et les Etats font appel à des proxys pour éviter d’être désigné coupable. Le manque d’application des règles de droit international n’arrange rien. C’est pourquoi cette thématique est aujourd’hui au cœur des domaines de recherche de l’OTAN qui se développe autour de deux points d’attention : aider les nations à discuter au plus haut niveau possible et comprendre quels seraient les impacts à long termes des positions russes et chinoises. « Nous souhaitons contribuer à la paix mondiale grâce à la paix dans le cyberespace » souligne Mart Noorma, directeur du Centre d’excellence de cyberdéfense coopérative de l’OTAN. Certes, mais pour cela, il faut des règles. Or, il n’y en a pas. « Actuellement toutes les nations sont censées préparer une proposition nationale et la soumettre sur la manière dont le droit international doit s’appliquer dans le cyberespace. Le problème c’est que nous estimons qu’il est aujourd’hui trop tôt pour avoir des conventions éclairées sur la manière dont le droit international devrait s’appliquer parce que certains Etats pourraient être à la manœuvre pour tenter d’influencer d’autres Etats » poursuit-il. Avant de réglementer, il faut donc que tous les Etats atteignent une certaine maturité dans le domaine cyber. D’autant que la cyberguerre ne s’arrête pas nécessairement au moment de la fin de la guerre sur le champ de bataille. « Demain des conflits pourraient se dérouler entièrement dans des espaces cyber. Certains tenteront d’influencer les foules grâce à de la désinformation ou de nuire à l’économie de l’Etat par une attaque cyber. Certains Etats, n’ayant pas les moyens de devenir une puissance militaire, pourront investir des opérations cyber malveillantes alors beaucoup moins coûteuses » dévoile le Colonel Daniel R Blanc, chef d’état-major de la Force Cyber du Canada. Priorité stratégique pour le ministère des Armées français, la nouvelle Loi de Programmation Militaire a consacré 4 milliards d’euros à la cyberdéfense, une première. Des fonds qui « doivent nous permettre d’aller encore plus loin en matière de protection, de lutte informatique défensive mais aussi offensive et d’intégrer la lutte informatique d’influence » dévoile Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense de l’Etat-Major des armées dans les colonnes de S&D Magazine.[1]

[1] S&D Magazine, septembre 2023 “Les ComCyber européens engagés dans la protection du cyberespace

Prendre l’ascendant grâce aux technologies numériques

Ces nouvelles menaces pèsent également sur les équipements utilisés sur le champ de bataille, ouvrant de nouvelles vulnérabilités cyber pour les attaquants. Mais, la technologie peut également être un formidable outil à disposition des forces armées pour faire la différence. C’est pourquoi Thales a développé la Combat Digital Platform, une solution qui permet aux unités tactiques d’observer, de protéger, de décider et d’agir de manière unifiée de la brigade jusqu’aux équipements présents sur la ligne de front. Bénéficiant de l’apport de l’intelligence artificielle et de capacités de connectivité avancées, la plateforme souhaite tendre vers un véritable combat collaboratif. La Combat Digital Platform permet également un échange de données machine-machine en temps réel. Le développement de nouveaux équipements militaires, comme le Système de Combat Aérien du Futur, intégrant de l’intelligence artificielle aura également de nombreuses conséquences positives : réduction de la charge cognitive des pilotes qui pourront alors se concentrer sur d’autres missions en parallèle comme la coordination d’effecteurs déportées, la transmissions d’informations récoltées par des capteurs ou encore le vol à basse altitude en territoire ennemi. Côté américain, la DARPA estime qu’environ 70 % des programmes emploient directement l’IA et le machine learning. Le Pentagone vient par ailleurs de réaliser une première en la matière : un avion de chasse F-16 entièrement piloté par l’IA a opéré un vol expérimental. D’ici 2028, une première flotte opérationnelle de 1 000 avions de guerre sans pilote verra le jour. Officiellement, aucune autre armée ne dispose d’une telle technologie. Le développement de nouvelles technologies, qui contribue à la numérisation du champ de bataille et donc à le fragiliser, permet également de renforcer les capacités des forces.

L’union fait la force

Autre composante indispensable : la coopération. Qu’elle soit publique-privée ou inter-étatique, la coopération prend une place prépondérante dans l’appréhension de la numérisation du champ de bataille. « Dans notre domaine, la coopération entre public et le privé est fondamentale. Rien n’est possible en termes d’innovations sans le domaine civil. La technologie évolue tellement vite que nous ne pouvons pas nous en passer. Si l’on transpose cette idée au cas de la guerre en Ukraine, le bon niveau de protection des Ukrainiens est aussi lié à l’intervention de grands groupes du numérique. Je souhaiterais accélérer cette coopération, mais pour cela les cycles d’acquisition des nouvelles technologies se doivent d’être plus courts car le cyberespace est l’espace de conflictualité dans lequel les évolutions sont les plus rapides » argumente le Général Bonnemaison. Les Canadiens, du même avis, ont notamment créé une task force qui vient des Ukrainiens pour les aider à protéger leurs réseaux critiques. « Dans le conflit actuel, la clé de de notre succès pour renforcer la cyber défense ukrainienne a été d’investir dans des officiers de liaison. Il faut développer des relations de confiance avec les partenaires pour que la coopération soit efficace et qu’elle fonctionne » conclut le Colonel Blanc. Entre partenaires étatiques cette coopération reste également un élément central de la sécurisation du cyberespace « car, dans un monde interconnecté, nous devons nous prévenir mutuellement en cas d’attaque. Quand un système est visé, d’autres peuvent être contaminés, nous devons donc transmettre ces informations aux cyber commandeurs partenaires. Depuis plus de 10 ans, nous avons déjà considérablement construit mais il reste encore beaucoup à créer pour protéger le cyberespace : nous devons nous entraider » conclut le Général français.

S&D Magazine

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