Krampus © Ostaralab
Entretien avec Darius Antanaïtis, PDG d’Ostaralab LLC
— > Propos recueillis par Murielle Delaporte
Darius Antanaïtis a rejoint la société lituanienne Ostara en 2015 en tant que directeur « Business development » avant d’en prendre la direction deux ans plus tard. Il est l’un des quatre actionnaires constituant la start up nouvelle génération Ostaralab créée en ce début d’année 2023. Formé à l’académie militaire de Vilnius où il reçut une licence en sciences militaires et études opérationnelles en 1996, il commença sa carrière dans l’infanterie lituanienne au sein de laquelle il resta seize ans. Comme la plupart de ses concitoyens, il est aujourd’hui réserviste et le sera jusqu’à soixante-cinq ans, un devoir qu’il considère comme un atout majeur permettant de conserver un « dialogue entre l’armée et l’industrie essentiel pour d’une part mieux comprendre les besoins militaires et baser une offre industrielle sur les retours d’expérience terrain et d’autre part informer les militaires des nouveautés émergeantes au sein des industriels ».
De fait c’est notamment à la lumière de sa propre expérience dans l’infanterie et de ses déploiements en Afghanistan et en Irak que certains des concepts sous-tendant le développement de la double ligne de produits aujourd’hui proposée par Ostaralab ont vu le jour. « Lors de nos patrouilles en Irak et en Afghanistan, notre arrivée dans les villages ne passait pas inaperçue en raison du bruit émis par nos véhicules d’infanterie incitant l’ennemi à fuir et entraînant la perte de nombre de nos camarades blessés ou tués suite à l’explosion d’IED (engins explosifs improvisés). En Afghanistan, de surcroît, l’environnement appauvri en oxygène faisait que nos moteurs ne démarraient pas toujours. Ces deux soucis majeurs – bruit et fonctionnement en milieu appauvri en oxygène – peuvent aujourd’hui être solutionnés par l’hybridité et le recours à l’électricité lorsque nécessaire. La robotisation est par ailleurs un autre concept que nous n’avons de cesse d’améliorer dans le but de sauver la vie des soldats traditionnellement confrontés au risque d’engins explosifs sur le champ de bataille. »
Dans l’entretien ci-dessous, il nous explique l’avancée des recherches d’Ostaralab, jeune société localisée à Vilnius, et la stratégie sous-tendant son développement.
Krampus : hybridité et automation prêtes à l’intégration dans les forces armées
Le concept Krampus Mk1 est né en partie (« à hauteur de dix pour cent » précise le PDG d’Ostaralab) d’un financement du fonds européen de développement régional. Le projet tel que libellé en 2020 devait répondre aux critères suivants selon le site de la compagnie : « la société LLC OSTARA a pour objectif de créer un véhicule hybride fonctionnant en continu et doté d’une fonction de commande à distance, qui pourrait se déplacer dans une zone fortement défrichée. Un véhicule à quatre roues motrices, conçu pour transporter deux personnes et une charge utile, est en cours de développement pour fonctionner sur des routes en mauvais état ou en tout-terrain. Le segment cible du produit envisagé est celui des services de surveillance de l’environnement, des services de secours en cas d’incendie et des services de contrôle des migrations illégales. L’objectif du véhicule est d’aider à la surveillance des frontières, aux opérations de sauvetage ou à d’autres situations où la vie humaine peut être menacée. Au cours de la mise en œuvre du projet, la sélection des technologies optimales sera effectuée sur la base de calculs théoriques (modélisation) de l’adéquation des technologies sélectionnées au produit final. Un premier prototype sera ensuite développé et les premiers essais des systèmes seront effectués. » (1)
Trois ans plus tard, Ostaralab peut mettre en avant une solution prête à l’emploi et déclarer « mission accomplie » avec la mise au point de son véhicule tout-terrain Krampus, « véhicule électrique hybride à usage spécial pour la sécurité, la défense ou les besoins industriels », conçu selon les critères suivants :
- un châssis adapté aux environnements difficiles et aux augmentations de charge ;
- un système de commande hybride intelligent ;
- un système de conditionnement de la batterie permettant la « réduction de la signature thermique en mode électrique » ;
- « l’application de nouveaux algorithmes de contrôle pour améliorer les performances et la durabilité de la cellule de puissance » ;
- un système de commande à distance en permettant la robotisation, puisque le véhicule peut fonctionner selon trois modes : « normal, télécommandé et autonome » ;
Les avantages de l’hybridité telle qu’imaginée par Ostaralab sont multiples à commencer par :
- la souplesse d’emploi, puisque non seulement Krampus « alimenté par une batterie haute tension et un générateur diesel » peut conjuguer l’hybridité de son moteur à partir de n’importe quel type de carburant militaire – Diesel ou JP8 -, mais son concept modulaire permet son adaptation à tout type de véhicule : Ostaralab se positionne ainsi pour l’avenir conformément à l’évolution de l’OTAN vers l’adoption du monocarburant, mais aussi l’adoption à terme de l’« hybride hydrogène », qui pour Darius Antanaïtis représente l’avenir. « Nous nous concentrons moins sur le véhicule en lui-même que sur son mode de propulsion de façon à ce que celui-ci soit facilement intégrable par les sociétés de l’industrie automobile et/ou qu’il puisse être aisément assemblé aux véhicules employés dans les forces armées alliées », explique-t-il, en soulignant que le Krampus est prêt pour une production en série.
- La simplicité de maintenance : cette modularité « qui permet de séparer le châssis, la chaîne cinématique, le bloc-batterie et le générateur diesel pour un remplacement plus rapide sur le terrain » offre aussi un avantage en termes de maintenance : « pour les maintenanciers, rien n’est plus simple que de brancher et de rebrancher des cables et les gains en temps et énergie sont considérables », explique le président d’Ostaralab.
- Les économies sont notables en termes de carburant, d’empreinte logistique et de maintien en condition opérationnelle, sachant que les batteries « peuvent également être chargées à l’extérieur, à l’aide d’une prise de charge CCS de type 2 », peuvent se recharger « en descente » par exemple sur un terrain vallonné ou montagneux ou encore la nuit sur les bases alors que les générateurs électriques sont moins sollicités.
- La sécurité apportée par une utilisation moindre de carburant moins inflammable que par le passé.
- Les propriétés « stealth » non seulement en raison de la mobilité silencieuse que permet le recours à l’électricité, mais aussi en raison d’une moindre signature thermique, tel qu’évoquée plus haut rendent le véhicule moins facilement détectable par l’ennemi.
- Le potentiel en matière d’automation enfin parle de lui-même en termes d’économies de vie, mais aussi de protection des fantassins, sans compter les avantages tactiques qui ne demandent qu’à être exploités par de nouveaux concepts d’opération en cours d’invention.
Ce sont cette modularité et cette adaptabilité qui font la force et la différence d’Ostaralab par rapport à ses homologues. Pour arriver à une telle versatilité, les efforts en recherche et développement dans le double domaine de l’hybridation et de l’automation du champ de bataille ont été déterminants avec une approche originale : « nous avons développé notre propre plateforme d’essais, laquelle n’existe nulle part ailleurs sur le marché », raconte Darius Antanaïtis, qui souligne cependant que cette tâche fondamentale est bien-sûr consommatrice en temps et en argent et ne peut exister que grâce aux autres activités d’Ostaralab.
Remorques multi-missions : une gamme de produits à double usage assurant une stratégie de diversification payante
Parmi ces activités l’on trouve la seconde ligne de produits phares d’Ostaralab, à savoir les remorques à double-usage. Là encore la modularité est le maître-mot. Ainsi, tandis que le manque de moyens draine la masse dont les armées auraient besoin pour faire face à un conflit de haute intensité, l’un des soucis des armées est, pour Darius Antanaïtis, « l’emploi de véhicules dédiés à une mission unique », d’où l’idée de développer des remorques multi-usages : « pourquoi dépenser par exemple des centaines de milliers d’euros pour acheter des véhicules blindés de défense aérienne, alors qu’il suffit d’investir dans des remorques multi-missions. Nous avons ainsi déjà testé ces dernières précisément pour des missions de défense anti-aérienne, mais aussi pour des fonctions anti-chars (notamment en coopération avec des partenaires allemands) et pour des missions de soutien médical », détaille-t-il.
De la même façon, Ostaralab a pu dévoilé cette année à DSEI 2023 l’emploi de son TrollHuset, un « camping-car pliant tout-terrain », comme poste de commandement mobile pour la conduite de drones. Même problème : « l’armée tend à mobiliser un véhicule comme PC ou à monter une tente spécialement à cette fin de commandement. » L’avantage d’utiliser un « camping-car à double-usage » est ici double, puisqu’il économise des moyens militaires et offre la mobilité nécessaire dans le cadre de conflits de type Ukraine.
Le marché civil demeure cependant essentiel pour la croissance économique de la start up lituanienne et le TrollHuset est particulièrement adapté au marché du camping de loisir en Islande, où ses qualités de résistance à des conditions extrêmes climatiques et ses propriétés tout-terrain en font un candidat parfait.
Être présent sur les salons militaires est essentiel pour Ostalarab en particulier dans sa poursuite de partenariats. Ostaralab est ainsi fidèle à Eurosatory avec une présence régulière depuis 2016. « Eurosatory étant le plus grand salon de la défense et de la sécurité en Europe, il est pour nous incontournable. Nous cherchons à développer une coopération à l’international, en particulier en vue de répondre aux appels d’offre de type DIANA proposés par l’OTAN lesquels nécessitent des partenariats multilatéraux [NDLR : DIANA est un incubateur d’innovation proposant un soutien OTAN aux entreprises développant des solutions à double-usage permettant de faire face à l’émergence de nouvelles technologies de rupture (2)], et notre venue lors des éditions précédentes a conforté l’intérêt que nos innovations suscitent auprès de nos clients. Nous avons l’intention cette année de réserver davantage de place d’exposition à l’extérieur pour mettre en avant non seulement le Krampus et le Trollhuset, mais aussi une surprise dont nous réservons la découverte au public à cette occasion », conclut le PDG d’Ostaralab.
Notes
(1) https://ostaralab.com/funding-for-development-of-an-innovative-autonomous-vehicle/
(2) DIANA est l’acronyme de « Defence Innovation Accelerator for the Nort Atlantic » . Pour en savoir plus >>> https://diana.nato.int/